Pour quelle raison avez-vous été contraint de recevoir une greffe ?                    

- Alors, j’ai une maladie génétique que j'ai découvert à 5-6 ans qui touche les oreilles et les reins, ça s’appelle le syndrome d’Alport, donc depuis tout petit je savais que j’allais être obligé d’être transplanté un jour parce que ça dégrade les reins au fur et à mesure.


Depuis quand êtes-vous greffé ?

Le 27 avril 2011, c’est une date que l’on n'oublie pas. (rires)


Est-ce votre première transplantation ?

- C'est ma première transplantation, oui.


Le temps d'attente pour obtenir cet organe a-t-il été conséquent ? Avez-vous eu du mal à trouver un donneur compatible ?

- J’ai été inscrit en décembre 2008 sur liste d’attente, donc j'ai attendu presque 3 ans. En plus de ça, je suis du groupe B donc ce sont des durées qui sont encore plus longues parce que dans la population générale il y a peu de groupes B. Par exemple les groupes A mettent un an en moyenne à se faire transplanter, et encore ça dépend, il y en a qui, dès qu’ils sont inscrits, sont appelés 6 mois après. Aussi, j’avais une double complication : le fait que je sois du groupe B et mon âge, puisque j’étais jeune ils devaient me greffer un rein qui soit le plus jeune possible pour pouvoir vivre longtemps avec.


Avez-vous dû passer des tests pour établir la compatibilité tissulaire entre vous et votre donneur avant la greffe ?

- J’ai passé des bilans. On m’a prit énormément de sang pour le test HLA et tester les anticorps, environ une trentaine de tubes, et quand j’ai été appelé le mardi pour aller me faire transplanter à Caen en Normandie, j’ai dû me déplacer et on m’a fait passer un test qui s’appelle le cross match, donc ils m’ont prit du sang, qu’ils ont mis avec le sang du donneur pour établir la compatibilité tissulaire. Souvent, on est trois à venir, et il y en a un qui doit repartir parce qu’il est le moins compatible. C’est la loterie.


Quels sentiments ou émotions avez-vous ressenti peu de temps avant l'opération ?

- Pour l’appel de greffe, j’ai agressé la dame qui m’a appelé puisque pour moi… j’y croyais plus, parce que ça faisait tellement longtemps que j’attendais. Je savais que la dialyse commençait à ne plus suffire, que je devais être greffé dans l’année sinon j’existais plus. On m’a vraiment dit que ça commençait à être urgent. Donc on m’a appelé, on m’a dit qu’on avait un rein pour moi et j’ai dit “comment ça un rein pour moi ?” parce que vraiment je n’y croyais pas. La chose était organisée dans ma tête pendant 3 ans, c’est-à-dire faire sa valise, appeler le taxi… On a dû me recanaliser parce que j’ai ressenti un tourbillon d’émotions différentes. J’ai été appelé le soir, j’ai pas réussi à dormir car j'avais beaucoup de stress dû à l’attente des résultats du crossmatch pour être sûr que la greffe allait bien se faire, avant de devoir le dire à qui que ce soit. Puis quand tu as le feu vert là tu as plus le temps de réfléchir puisqu’ils te greffent dans la foulée. 


Comment vous êtes-vous senti après l'opération d'un point de vue émotionnel ?

- Tu réalises pas. Moi tout c’est tellement bien passé, j’ai pas trop eu de complications, je suis sorti au bout de 9 jours au lieu de 15. Tu es tellement dans l’euphorie du truc que tu te laisses couler mais à la maison tout retombe, tu pleures mais tu comprends pas pourquoi, et tu vois aussi que toute ta famille est contente.


Avez-vous eu un comportement dépressif après la greffe ?

- Non pas du tout, au contraire, car maintenant tu vis pour deux : pour la personne décédée et pour toi. Et puis c’est pas ma personnalité, j’aime trop la vie pour ça. (rires)


Avant la greffe, étiez-vous réticent à l'idée de recevoir un corps étranger ?

- Non, mais je pense que ça vient aussi du fait que j’y était préparé étant enfant dans le sens où j’ai toujours su que j’allais en avoir besoin. Mais j’étais beaucoup plus réticent à l'idée de recevoir un corps étranger de ma famille. Je ne voulais pas une greffe de donneur vivant parce que s’il arrive quelque chose à la personne qui t’a donné, tu ne peux pas lui rendre. Mais vers la fin, ma cousine avait déjà commencé en amont pleins de démarches pour essayer de me convaincre à recevoir son rein. Je me serais senti mal si jamais il lui arrivait quelque chose à cause de cette greffe. 


Ressentez-vous une différence entre votre vie avant la greffe et votre vie actuelle ?

- C’est une deuxième vie grâce à ça j’ai pu me marier, voyager, découvrir le monde, travailler à plein temps… La date, tu la retiens, car c’est vraiment comme une deuxième naissance. Tu revis vraiment même si tu es encore un peu malade, tu es greffé certes, mais tu n'es pas sauvé non plus, la greffe c’est juste un moyen de substitution. 


Avez-vous ressenti des douleurs après l'opération ?

- Aucune, on m’a demandé si j’avais mal j’ai dit "non", si je voulais un peu de morphine j’ai dit “pourquoi pas”. J’ai été greffé vers 14h, j’ai ouvert les yeux vers 18h : c’était fait. Ils m'ont tâté et m’ont demandé si j’avais mal j’ai dit non. Ils m’ont mis un coup de morphine, je me suis endormi, je me suis réveillé. Tout s’est très bien passé pour moi ! (rires)


Et avant l'opération ?

- Non, j'ai jamais eu mal.


Combien de temps a duré votre cicatrisation et comment s'est-elle passée ?

- 21 jours, franchement j’ai vraiment pas eu de merdes, pas d’infections, rien du tout. (rires) Ma cicatrise est plutôt petite donc la guérison est allée relativement vite. 


Quels effets secondaires des médicaments immunosuppresseurs ressentez-vous ?

- J'ai de légers tremblements des mains, et les corticoïdes m’avaient altéré le comportement. Par exemple, tu as très faim tout le temps, tu n'as pas la sensation d’être rassasié, tu te dis vraiment des trucs comme  “le petit chien de ma grand-mère il serait bon avec des patates autour” (rires). Vraiment, la nourriture devient une obsession, tu manges tout le temps, tu finis par avoir des joues énormes. Et même, tu t’énerves pour un rien, par exemple pour un stylo qui tombe par terre. Tu sens que tu t’énerves mais tu peux pas te contrôler. C’est l’un des effets secondaires des corticoïdes le plus contraignant. Mais aujourd’hui j’en n'ai plus donc tout va bien. Les effets secondaires de mon traitement à savoir les tremblements de mes mains ne me dérangent pas plus que ça dans ma vie quotidienne. 


Comment allez-vous aujourd'hui ?

- Très bien !


- Avez-vous remarqué une tendance à développer plus souvent des maladies courantes depuis votre greffe ?

- Oui, toutes les maladies virales si je fais pas particulièrement attention je les attrape, c’est normal car je suis immunodéprimé, donc tu as tendance à choper vraiment tout et n’importe quoi. J’évite d’embrasser les personnes malades, c’est des réflexes que tout le monde devrait avoir aussi je pense. Après en soit, cette tendance à choper plus facilement les rhumes ou les gastros, c’est pas contraignant, tu prends un doliprane. Après c’est sûr qu’il faut avoir un suivi, dès que tu as de la température il faut forcément qu’un médecin t’ausculte . 


Vos médecins ont-ils eu besoin de changer votre traitement immunosuppresseur ?

- Ils ne m’ont jamais rien changé, ça fait 4 ans et demie que je suis avec le même traitement. Juste au bout de 6 mois, ils m’ont enlevé les corticoïdes et les antibiotiques préventifs, tout ce qui est contre les virus, les bactéries. Ces types de traitements sont arrêtés très progressivement, au fur à mesure ils enlèvent les médicaments pour en avoir plus que 2 maintenant, 2 anti-rejets dont cellcept -2 fois par jour, matin et soir- qui doit obligatoirement être pris avec 12 h d’intervalle et advagraf que je prends à 9h toutes les 24h. Par contre, ces 2 médicaments là je dois les prendre à vie et ne pas les oublier. 


Avez-vous rencontré des complications après la greffe ?

- Non, pas pour l’instant. 


Craignez-vous le rejet ? 

- Si ça doit arriver, ça arrivera ! Mais ça fait quand même 5 ans que je n'ai rien, je suis quand même chanceux pour l’instant. Donc je ne le crains pas puisque je sais que ça peut se soigner. 


Votre nouveau rein fonctionne-t-il bien ?

- Il fonctionne très bien ! 


- On vous a laissé vos reins malades ? 

- Oui, ils ne les ont pas enlevés donc j’ai 3 reins dont 2 qui ne ressemblent plus à rien. C’est plus simple de pratiquer comme ça parce que la chirurgie pour enlever les reins est encore plus lourde. 


Vous nous avez dit que la greffe était une nécessité pour vous, pourquoi ? La dialyse ne suffisait-elle pas ? 

- J’ai été en dialyse péritonéale, une membrane comme le rein permet d’épurer et de faire les échanges des déchets. Ce type de dialyses a des limites car tu dois la faire tous les jours chez toi, tu branches la machine quand tu dors, la dialyse est donc réalisée quand tu dors. Mais la dialyse épure moins bien que le rein, même en hémodialyse tu arrives à un moment où le corps ne peut plus supporter des taux d’urée, de potassium trop hauts. La greffe est arrivé à temps pour moi ! (rires) 


Vous étiez vraiment faible à la fin ? 

- C’est ça ! Mais je voulais vraiment continuer à travailler à mi-temps, c’était thérapeutique pour moi et j’aime vraiment ce que je fais. Je pense que si on m’avait enlevé mon travail, psychologiquement ça aurait été plus dur. 


Combien de temps vous a-t-il fallu pour retrouver votre force habituelle étant donné la chirurgie assez lourde ?

- J’ai pu refaire du sport léger au bout de 2-3 mois comme la marche, mais je devais éviter les charges lourdes et au bout de 6 mois c’est vraiment là que j'ai pu refaire du sport comme avant, néanmoins il y a des sports contre-indiqués comme les sports de combats ou le ski, il faut éviter les chocs au niveau du ventre car le greffon rénal contrairement aux reins n’est pas protégé par la cage thoracique il est placé au niveau de l’aine.


Savez-vous quelque chose de votre donneur ?

- Son âge, c’est tout ce qu’on m’a autorisé à savoir.


Pouvez-vous donner vos organes ? Donneriez-vous une partie de vous ?

- Non à cause de mon traitement immunosuppresseur et de ma maladie génétique, et même avant la greffe je n’aurais pas pu donner mes organes car il y avait pas grand chose de bon chez moi, mais sinon j’aurais été donneur, c’est évident !  


Pensez-vous que le don doit rester anonyme ou ressentez-vous l'envie de connaître l'identité de votre donneur ?

- Je ne veux pas connaître son identité réelle, qui il est. Cela ne me regarde pas, ce n'est pas mon rôle de savoir qui il est.


En tant que citoyen, quelle opinion avez-vous du don et de la greffe ?

- Il faudrait des campagnes d’actions plus ciblées sur la jeunesse et que notre position face au don figure sur notre carte vitale parce que malheureusement des fois les familles disent non dans le doute, car elle ne savait pas ce que voulait le défunt et elles ne savent pas comment se passe la procédure. 


Pensez-vous que le don doit rester gratuit ?

- Oui ! Je pense que tous les pays devraient respecter les principes français sur le don et le prélèvement pour éviter toute dérive à l’américaine comme le trafic d’organes. 


Vous avez des proches qui sont opposés au don d’organes ?

- Non, sinon ça serait plus mes proches ! (rires)


Si un de vos proches venait à mourir, accepteriez-vous de faire don de ses organes ?

- Oui car il sauve pas seulement une vie il peut en sauver plusieurs avec tous les organes qui peuvent être greffés aujourd’hui. Tu peux sauver 8 à 10 vies donc c’est pas négligeable. 


Si vous pouviez vous adresser au donneur ou à sa famille, que leur diriez-vous ?

- J’ai écrit ma lettre dans laquelle j’ai dit tout ce que j’avais à dire, voilà, ça me suffit . Il est décédé, il a permis des choses mais il ne fait pas partie de mon entourage, de ma vie. Il faut rester carré dans ce qu’on pense et pas se dire “du coup j’ai envie de connaître la famille”

 

Avez-vous un petit slogan pour promouvoir le don d'organes ?

- “Donner c’est la vie !” J’ai fait je sais pas combien de voyages depuis que je suis greffé, j’ai pu acheter un appartement, me marier. En 5 ans, je trouve ça pas mal ! (rires) De toute façon, faut toujours vivre comme si demain était le dernier jour car on sait jamais ce que la vie nous réserve. De toute façon, vous êtes mort. Que voulez-vous qu’on fasse de vos organes ? Les confessions religieuses encouragent le don d’organes que ce soit le christianisme, l’islam et le judaïsme. Les trois trouvent que c’est le plus beau don qui soit. Donc je pense qu’il faut s'en remettre à la base de ces trois religions qui disent de donner aux autres.